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QAÏN.


Abîme où, loin des cieux aventurant son aile,
L’Ange vit la beauté de la femme et l’aima,
Où le fruit qu’un divin adultère forma,
L’homme géant, brisa la vulve maternelle,
Ton spectre emplit les yeux du Voyant Thogorma.

Il vit tes escaliers puissants bordés de torches
Hautes qui tournoyaient, rouges, au vent des soirs ;
Il entendit tes ours gronder, tes lions noirs
Rugir, liés de marche en marche, et, sous tes porches,
Tes crocodiles geindre au fond des réservoirs ;

Et, de tous les recoins de ta masse farouche,
Le souffle des dormeurs dont l’oeil ouvert reluit,
Tandis que çà et là, sinistres et sans bruit,
Quelques fantômes lents, se dressant sur leur couche,
Écoutaient murmurer les choses de la nuit.

Mais voici que du sein déchiré des ténèbres,
Des confins du désert creusés en tourbillon,
Un Cavalier, sur un furieux étalon,
Hagard, les poings roidis, plein de clameurs funèbres,
Accourut, franchissant le roc et le vallon.

Sa chevelure blême, en lanières épaisses,
Crépitait au travers de l’ombre horriblement ;
Et, derrière, en un rauque et long bourdonnement,
Se déroulaient, selon la taille et les espèces,
Les bêtes de la terre et du haut firmament.