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POÈMES BARBARES.


Qu’as-tu fait de celui par qui tu vis et règnes,
De ce vieillard deux fois auguste que tu hais ?
As-tu souillé ta main parricide à jamais ?
Est-ce de l’âme aussi, meurtrier, que tu saignes ?
Sois maudit par ce sang de tous ceux que j’aimais ! —

Il sourit, admirant sa grâce et sa colère :
— Djihan-Arâ ! C’était la volonté de Dieu
Que mon front fût scellé sous ce bandeau de feu.
Viens, je te couvrirai d’une ombre tutélaire,
Et quel qu’il soit, enfant, j’exaucerai ton vœu.

Mes mains ont respecté mon père vénérable.
Ne crains plus. Il vivra, captif mais honoré,
Méditant dans son cœur d’un vain songe épuré
Combien la gloire humaine est prompte et périssable.
Que veux-tu d’Alam-Guîr ? J’ai dit, et je tiendrai.

— Aurang ! Charge mes bras d’une part de sa chaîne ;
C’est là mon plus cher vu, mon rêve le plus beau !
Pour que le vieux Djihan pardonne à son bourreau,
Pour que j’abjure aussi l’amertume et la haine,
Enferme-nous, vivants, en un même tombeau. —

Alam-Guîr inclina, pensif, sa tête grave ;
Une larme hésita dans son œil morne et froid :
— Va ! Dit-il, le chemin des forts est le plus droit.
Je te savais le cœur d’une vierge et d’un brave ;
J’attendais ta demande et j’y veux faire droit. —