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POÈMES BARBARES.


Gorges des monts déserts, régions inconnues
Aux vivants, vous m’avez vu fuir de l’aube au soir.
Je m’arrête, et voici que je me laisse choir.
Couchez-moi sur le dos, la face vers les nues,
Enfants de mon amour et de mon désespoir.

Que le soleil regarde et que l’eau du ciel lave
Le signe que la haine a creusé sur mon front !
Ni les aigles, ni les vautours ne mangeront
Ma chair, ni l’ombre aussi ne clora mon œil cave.
Autour de mon tombeau les lâches se tairont.

Mais le sanglot des vents, l’horreur des longues veilles,
Le râle de la soif et celui de la faim,
L’amertume d’hier et celle de demain,
Que l’angoisse du monde emplisse mes oreilles
Et hurle dans mon cœur comme un torrent sans frein ! —

Or, ils firent ainsi. Le formidable ouvrage
S’amoncela dans l’air des aigles déserté.
L’Ancêtre se coucha par les siècles dompté,
Et, les yeux grands ouverts, dans l’azur ou l’orage,
La face au ciel, dormit selon sa volonté.

Hénokhia ! cité monstrueuse des Mâles,
Antre des Violents, citadelle des Forts,
Qui ne connus jamais la peur ni le remords,
Telles du fils d’Élam frémirent les chairs pâles,
Quand tu te redressas du fond des siècles morts.