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POÈMES BARBARES.


Ce n’était point l’amour que poursuivaient tes songes,
Djihan-Arâ ! Tes yeux en ignoraient les pleurs.
Jamais tu n’avais dit : — Il est des jours meilleurs. —
Tu ne pressentais point la vie et ses mensonges :
Ton âme ouvrait son aile et s’envolait ailleurs.

Sous les massifs touffus, déjà pensive et lente,
Loin des bruits importuns tu te perdais parfois,
Quand le soleil, au faîte illuminé des bois,
Laisse traîner un pan de sa robe sanglante
Et des monts de Lahor enflamme les parois.

La tête, de rubis, d’or et de perles ceinte,
Tu courbais ton beau front de ce vain poids lassé ;
Tu rêvais, sur le pauvre et sur le délaissé,
D’épancher la bonté par qui l’aumône est sainte,
Et de prendre le mal dont le monde est blessé.

C’est pourquoi le destin gardait à ta mémoire
Ce magnanime honneur de perdre sans retour
Palais, trésors, beauté, ta jeunesse en un jour,
Et d’emporter, ô vierge, avec ta chaste gloire,
Ton père malheureux, au ciel de ton amour !

Dans le Tadjé-Mahal pavé de pierreries,
Aux dômes incrustés d’éblouissantes fleurs
Qui mêlent le reflet de leurs mille couleurs
Aux ondulations des blanches draperies,
Sous le dais d’or qui flambe et ruisselle en lueurs,