Page:Leconte de Lisle - Poèmes barbares.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
DJIHAN-ARÂ.


Le vieux Djihan t’aimait, ô perle de sa race !
Il se réjouissait de ta douce beauté ;
Toi seule souriais dans son cœur attristé,
Quand il voyait de loin méditer, tête basse,
Le pâle Aurang-Ceyb, cet enfant redouté.

— Parle ! Te disait-il, ô ma fleur, ô ma joie !
Veux-tu d’autres jardins ? Veux-tu d’autres palais ?
De plus riches colliers, de plus beaux bracelets,
Ou le trône des Paons qui dans l’ombre flamboie ?
Fille de mon amour, tous tes rêves, dis-les.

As-tu vu, soulevant ta fraîche persienne,
Un jeune et fier radjah d’Aoud ou du Népâl,
À travers la Djemma poussant son noir cheval,
Forcer sous les manguiers quelque cerf hors d’haleine ?
L’amour est-il entré dans ton cœur virginal ?

Parle ! Il est ton époux, si telle est ton envie.
Mohammed ! Mes trois fils, la main sur leur poignard,
Tremblent, si je ne meurs, de commander trop tard ;
Mais toi qui m’es restée, ô charme de ma vie,
C’est toi que bénira mon suprême regard ! —

Vierge, tu caressais alors, silencieuse,
Le front du vieux Djihan qui se courbait plus bas ;
De tes secrets désirs tu ne lui parlais pas,
Mais ressentant au cœur ton étreinte pieuse,
Ton père consolé souriait dans tes bras.