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POÈMES BARBARES.


Jeune âme, tu reçus le tribut de cent villes.
La mosquée octogone alluma, jours et soirs,
Ses tours de marbre roux, comme des encensoirs ;
Mais ton rire enfantin luit sur les fronts serviles
Mieux que les minarets sur les carrefours noirs.

Afin qu’on te bénît par des vux unanimes,
Pour que le pervers même adorât le moment
Où ton âme brilla dans ton regard charmant,
Le sabre s’émoussa sur le cou des victimes,
Et ton premier soupir fut un signal clément.

Tu grandis, de respect, d’amour environnée,
Sous les dômes mongols de ta grâce embellis,
Calme comme un flot clair, vierge comme les lys,
Plus digne de mourir au monde, à peine née,
Que l’homme de baiser ta robe aux chastes plis.

L’empire était heureux aux jours de ta jeunesse :
La fortune suivait, dans la fuite du temps,
Le maître pacifique et les peuples contents ;
Mais quels cieux ont tenu jusqu’au bout leur promesse ?
Quel splendide matin eut d’éternels instants ?

À l’horizon des flots où tout chante, où tout brille,
Croît un sombre nuage, avec la foudre au flanc ;
Telle, germe mortel d’un règne chancelant,
L’ambition couvait dans ta propre famille,
La haine au cœur, muette, et l’œil étincelant.