Page:Leconte de Lisle - Poèmes barbares.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
POÈMES BARBARES.

Les deux bœufs de Névèz la traînaient de leurs cornes,
Et les flots mugissaient d’aise en la poursuivant.

Or, quand l’Avank les vit qui nageaient vers son faîte,
Consumé de sa haine impuissante, il souffla
Un ouragan de bave et de flamme, et voilà
Que, se crevant les yeux qui voyaient sa défaite,
Dans le gouffre écumant et sanglant il roula.
Et le soleil sécha l’humide solitude
Où de chaudes vapeurs sortaient en tourbillons
Des cadavres de l’homme et des chairs des lions.
Puis, mille ans ; et l’immense et jeune multitude
Envahit de nouveau montagnes et vallons.

Mais la terre était triste, et l’humanité sombre
Se retournait toujours vers les siècles joyeux
Où s’était exhalé l’esprit de ses aïeux :
Le morne souvenir la couvrit de son ombre,
Et la race des Purs désira d’autres cieux.
Une nuit, l’Occident, plein d’appels prophétiques,
S’embrasa tout à coup d’une longue clarté.
Ce fut l’heure ! Et, depuis, nos pères t’ont quitté,
Sol où l’homme a germé, berceau des clans antiques,
Demeure des heureux, ô Pays de l’Été !

Vieillards, bardes, guerriers, enfants, femmes en larmes,
L’innombrable tribu partit, ceignant ses flancs,