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LE MASSACRE DE MONA.

Rongea les blocs épais, secoua, désunit,
Et fit tant, de la griffe et du bec, sans relâche,
Qu’elle effondra l’immense et solide granit.
L’eau croula du milieu des montagnes trouées
Par nappes et torrents sur le jeune univers
Qui riait et chantait sous les feuillages verts ;
Et l’écume, du choc, rejaillit en nuées,
Et les cieux éclatants depuis en sont couverts.

Le Lac des lacs noya les vallons et les plaines ;
Il rugit à travers la profondeur des bois
Où les grands animaux tournoyaient aux abois.
L’onde effaça la terre, et les races humaines
Virent le ciel ancien pour la dernière fois.
Les astres qui doraient l’étendue éclatante,
Eux-mêmes, palpitant comme des yeux en pleurs,
Regardèrent plus haut vers des mondes meilleurs :
L’ombre se déploya comme une lourde tente
D’où sortit le sanglot des suprêmes douleurs.

Et le Dragon, du haut d’un roc inébranlable,
Tout joyeux de son œuvre et du crime accompli,
Maudit l’univers mort et l’homme enseveli,
Disant : — Hors moi, l’Avank, qui suis impérissable,
Les heureux sont couchés dans l’éternel oubli ! —
Mais voici qu’au-dessus de l’océan sans bornes
Flottait la vaste Nef par qui tout est vivant ;
Rejetant la vapeur de leurs mufles au vent,