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QAÏN.


C’était un soir des temps. Par monceaux, les nuées,
Émergeant de la cuve ardente de la mer,
Tantôt, comme des blocs d’airain, pendaient dans l’air
Tantôt, d’un tourbillon véhément remuées,
Hurlantes, s’écroulaient en un immense éclair.

Vers le couchant rayé d’écarlate, un œil louche
Et rouge s’enfonçait dans les écumes d’or,
Tandis qu’à l’orient, l’âpre Gelboé-hor,
De la racine au faîte éclatant et farouche,
Flambait, bûcher funèbre où le sang coule encor.

Et loin, plus loin, là-bas, le sable aux dunes noires,
Plein du cri des chacals et du renâclement
De l’onagre, et parfois traversé brusquement
Par quelque monstre épais qui grinçait des mâchoires
Et laissait après lui comme un ébranlement.

Mais derrière le haut Gelboé-hor, chargées
D’un livide brouillard chaud des fauves odeurs
Que répandent les ours et les lions grondeurs,
Ainsi que font les mers par les vents outragées,
On entendait râler de vagues profondeurs.

Thogorma dans ses yeux vit monter des murailles
De fer d’où s’enroulaient des spirales de tours
Et de palais cerclés d’airain sur des blocs lourds ;
Ruche énorme, géhenne aux lugubres entrailles
Où s’engouffraient les Forts, princes des anciens jours.