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POÈMES BARBARES.

J’ai fui vers le couchant ; j’ai prié, combattu ;
J’ai gravi d’astre en astre et de vice en vertu,
Emportant le fardeau des angoisses utiles ;
J’ai vu cent continents, j’ai dormi dans cent îles,
Et voici que je suis plein d’innombrables jours,
Devant grandir sans cesse et m’élever toujours !
Que dit encor la Voix à la race du Chêne ?
Voici ce qu’elle dit : La flamme au feu s’enchaîne,
Et l’échelle sans fin, sur son double versant,
Voit tout ce qui gravit et tout ce qui descend
Vers la paix lumineuse ou dans la nuit immense,
Et l’un pouvant déchoir quand l’autre recommence.
Érinn, Kambrie, Armor, Mona, terre des Purs,
Entendez-moi : c’est l’heure, et les siècles sont mûrs. —

D’un sourcil vénérable abritant sa paupière,
Le Très-Sage se tut sur la table de pierre.
Il étendit les bras vers l’orage des cieux,
Puis il resta debout, droit et silencieux ;
Et sur le front du cercle immobile, une haleine,
Faible et triste, monta, qui murmurait à peine,
Souffle respectueux de la foule. Et voilà
Qu’une vibration soudaine s’exhala,
Et qu’un Barde, ébranlant la harpe qu’il embrasse,
Chanta sous le ciel noir l’histoire de sa race.

— Hu-Gadarn ! dont la tempe est ceinte d’un éclair !
Régulateur du ciel, dont l’aile d’or fend l’air !