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POÈMES BARBARES.

De cris et de sanglots, et de voix éperdues,
Comblait le gouffre épais des mornes étendues.
L’Esprit du vent soufflait dans ses clairons de fer,
En aspergeant le ciel des baves de la mer ;
Il soufflait, hérissant comme une chevelure
La noire nue éparse autour de l’Île obscure,
Conviant les Esprits ceints d’algue et de limons,
Et ceux dont le vol gronde à la cime des monts,
Et ceux des cavités, de qui la force sourde
Fait, comme un cœur qui bat, bondir la terre lourde,
Et ceux qui, dans les bois, portent la Serpe d’or,
Ceux de Kambrie et ceux d’Érinn et ceux d’Armor.

L’Esprit de la tempête, avec ses mille bouches,
Les appelant, soufflait dans ses trompes farouches.
Mieux que taureaux beuglants et loups hurlants de faim,
D’une égale vigueur, d’une haleine sans fin
Il soufflait ! Et voici qu’à travers les nuées,
Par les eaux de la mer hautement refluées,
Tels que des tourbillons pressés, toujours accrus,
Les Dieux Kymris, du fond de la nuit accourus,
Abordaient l’île sainte, immuable sur l’onde,
Mona la vénérée, autel central du monde.

Ainsi les Maîtres, fils de Math, le très puissant,
Volaient, impétueux essaims, épaississant
L’ombre aveugle, et pareils à ces millions d’ailes
Qu’aux soleils printaniers meuvent les hirondelles.