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POÈMES BARBARES.


Ployés sous le fardeau des misères accrues,
Dans la faim, dans la soif, dans l’épouvante assis,
Ils revoyaient leurs murs écroulés et noircis,
Et, comme aux crocs publics pendent les viandes crues,
Leurs princes aux gibets des Rois incirconcis,

Le pied de l’infidèle appuyé sur la nuque
Des vaillants, le saint temple où priaient les aïeux
Souillé, vide, fumant, effondré par les pieux,
Et les vierges en pleurs sous le fouet de l’eunuque
Et le sombre Iahvèh muet au fond des cieux.

Or, laissant, ce jour-là, près des mornes aïeules
Et des enfants couchés dans les nattes de cuir,
Les femmes aux yeux noirs de sa tribu gémir,
Le fils d’Élam, meurtri par la sangle des meules,
Le long du grand Khobar se coucha pour dormir.

Les bandes d’étalons, par la plaine inondée
De lumière, gisaient sous le dattier roussi,
Et les taureaux, et les dromadaires aussi,
Avec les chameliers d’Iran et de Khaldée.
Thogorma, le Voyant, eut ce rêve. Voici :

C’était un soir des temps mystérieux du monde,
Alors que du midi jusqu’au septentrion
Toute vigueur grondait en pleine éruption,
L’arbre, le roc, la fleur, l’homme et la bête immonde,
Et que Dieu haletait dans sa création.