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POÈMES BARBARES.


Elle se tait. Brunhild se penche, et soulevant
Le drap laineux sous qui dort le roi des framées,
Montre le mâle sein, les bouches enflammées,
Tout l’homme, fier et beau, comme il l’était vivant.

Elle livre aux regards de la veuve royale
Les dix routes par où l’esprit a pris son vol,
Les dix fentes de pourpre ouvertes sous le col,
Qu’au héros endormi fit la mort déloyale.

Gudruna pousse trois véhémentes clameurs :
— Sigurd ! Sigurd ! Sigurd est mort ! Ah ! malheureuse !
Que ne puis-je remplir la fosse qu’on lui creuse !
Sigurd a rendu l’âme, et voici que je meurs !

Quand vierge, jeune et belle, à lui, beau, jeune et brave,
Le col, le sein, parés d’argent neuf et d’or fin,
Je fus donnée, ô ciel ! ce fut un jour sans fin,
Et je dis en mon cœur : Fortune, je te brave.

Femmes ! C’était hier ! Et c’est hier aussi
Que j’ai vu revenir le bon cheval de guerre :
La fange maculait son poil luisant naguère,
De larges pleurs tombaient de son œil obscurci.

D’où viens-tu, bon cheval ? Parle ! qui te ramène ?
Qu’as-tu fait de ton maître ? — Et lui, ployant les reins,
Se coucha, balayant la terre de ses crins,
Dans un hennissement de douleur presque humaine.