Page:Leconte de Lisle - Poèmes barbares.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
LE RUNOÏA.

Blanche sous le lin chaste et rude, illuminée
Du nimbe d’or flottant sur sa tête inclinée,
La Vierge d’Orient, une ombre dans les yeux,
Pressait entre ses bras son fils mystérieux ;
Et l’Enfant, sur le sein de la femme pensive,
Parlait, et comme au vent tremblait la tour massive ;
Et mieux qu’un glaive amer aux mains des combattants,
Sa voix calme plongeait dans les cœurs palpitants.
Plus pâles que les morts esclaves des sorcières,
Qui par les froides nuits rampent dans les bruyères,
Les Runoïas, courbés sous le dur jugement,
Rêvaient, dans leur angoisse et leur énervement.
Comme un dernier rayon qui palpite et dévie,
Ils voulaient ressaisir la pensée et la vie,
Mais leur esprit, semblable aux feuilles des vallons,
Hors d’eux-mêmes, errait en de noirs tourbillons.
Debout, tumultueux, la barbe hérissée,
Et laissant choir soudain la coupe commencée,
Les Chasseurs, assaillis de vertige, brisaient
Les cruches où leurs mains incertaines puisaient,
Et, les yeux enflammés d’épouvante et d’ivresse,
Vers le vieux Roi du Nord criaient pleins de détresse.
Lui, sur son front ridé du souci de la mort,
Sentant passer le souffle ardent d’un Dieu plus fort,
Muet, inattentif aux clameurs élevées,
Évoquait dans son cœur les Runas réservées.

Mais l’Enfant, sur la peau du Serpent azuré,
S’inclina doucement comme un rameau doré,