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POÈMES BARBARES.

Chasser et boire en paix, voilà l’unique bien.
Buvons ! Notre sang brûle et nos femmes sont belles ;
Demain n’est pas encore, et le passé n’est rien !


L’ENFANT.


Vous descendrez vivants dans ma géhenne en flamme,
Chiens aboyeurs repus d’hydromel et de chair !
Vous serez consumés des angoisses de l’âme,
Vous vous tordrez hurlants dans le septième enfer !
Pareils aux pins ployés par le mal qui les ronge,
Tristes dès le berceau, sans joie et sans vigueur,
Vos enfants grandiront et vivront comme en songe,
Le glaive du désir enfoncé dans le cœur.
Pleins d’ennuis aux récits des choses disparues,
D’un œil morne ils verront sans plaisir ni regrets,
Par la hache et le feu, sous le soc des charrues,
Tomber la majesté de leurs vieilles forêts.
Ils auront froid et faim sur la terre glacée ;
Ils gémiront d’errer dans les brouillards du Nord ;
Et la volupté même, en leur veine épuisée,
Au lieu d’un sang nouveau fera courir la mort.
Ainsi, Dieu, Runoïas, Chasseurs du sol polaire,
Je vous retrancherai de mon sillon jaloux,
Et je ferai germer ma moisson de colère
Sur l’éternelle fange où vous rentrerez tous.