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POÈMES BARBARES.

Qui flamboyez une heure au front d’or des étés !
Tous ! venez tous, enfants de ma pensée austère,
Forces, grâces, splendeurs du ciel et de la terre ;
Dites-moi si mon cœur est près de se tarir :
Monde que j’ai conçu, dis-moi s’il faut mourir !


L’ENFANT.


La neige que l’orage en lourdes nappes fouette
Sur la côte glacée est à jamais muette.
Les clameurs de la mer ne te diront plus rien.
La nuit est sans oreille, et sur le cap ancien,
Le vent emporte, avec l’écume dispersée,
Comme un écho perdu ta parole insensée.
Les fleuves et les monts n’entendent plus ta voix ;
Tout l’univers, aveugle et stupide à la fois,
Roule comme un cadavre aux steppes de l’espace.
J’ai pris l’âme du monde, et sa force et sa grâce ;
Et pour l’homme et pour toi, triste et vieux dans ta tour,
La nature divine est morte sans retour.


LES RUNOÏAS.


Ô Roi, que tardes-tu ? Nos mains sont enchaînées
Par des liens plus forts que le poids des années.
Brise l’enchantement qui nous tient asservis,
Et nous écraserons l’Enfant sur le parvis.
Ô Roi, parle ! ou du moins, si ta langue est liée,
Médite en ton esprit la science oubliée ;
Et, pour nous arracher à nos doutes amers,
Grave les Runas d’or qui règlent l’univers !