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phalya-mani

cheveux rouges, poussa un cri sauvage qui roula avec le retentissement de la foudre dans les gorges de l’Himavat.

Et le beau génie, ami des hommes, lui dit :

— Mahâmaraka, qui habites les neiges éternelles, en horreur aux Dêvas et aux justes, tu as enlevé la vierge Phalya-Mani, la Fleur du Madhyadeça, que voici, la fille bien-aimée du saint Radjah Aryâmân qui t’a délivré des eaux de la rivière Dêvavithi. Rends la Perle du monde à son père et à son fiancé, sinon je briserai tes ailes et t’enfermerai pour mille années à mille pieds sous la neige.

Le Maraka, grinçant des dents, lui répondit :

— Atouli-Jama, vil esclave, je ne rendrai jamais la Perle du monde, et je me ris de toi, et je te défie.

— Prépare-toi donc au combat, Maudit, car l’heure de ton châtiment est venue, Phalya-Mani et Vyâghrâ contempleront la lutte des génies et seront le prix de la Victoire.

— Viens, dit le Démon. J’arracherai tes plumes, je romprai tes membres et tu ramperas désormais dans la fange et dans l’herbe, et la Fleur du Madhyadeça se flétrira, et je tordrai le cou de Vyâghrâ, le jeune Pandavaïde !

Et les deux génies prirent leur vol pour combattre.

Atouli-Jama, le beau génie, recula jusqu’aux cimes bleues de Suryâgiri, mais le démon resta au-dessus de l’Himavat. Puis, ils volèrent l’un contre l’autre. Les nuages pleins d’éclairs écumaient derrière eux, l’air sifflait et grondait, balayant les vieilles neiges amoncelées sur les montagnes et courbant comme des brins d’herbe les takamakas et les figuiers séculaires. Il y eut un choc plus terrible que le tonnerre d’Indra, et le démon se déroula dans le ciel avec une aile brisée. Et huit fois encore il fut renversé, furieux et tout sanglant. Alors, ne pouvant plus combattre, il se laissa tomber dans l’espace au-dessus des jeunes fiancés qui applaudissaient à la victoire du beau génie, et, d’un coup de sa dernière aile, il les précipita dans les abîmes de l’Himavat.

Atouli-Jama descendit sur lui comme l’éclair. Les neiges s’entrouvrirent et le démon fut enseveli pour mille années. Puis, l’Esprit victorieux vola à la recherche de Phalya-Mani et du jeune Radjah. Ils roulaient encore dans le vide, les bras enlacés, quand il les atteignit, et il les transporta dans la demeure royale d’Aryâmân ; mais le Maraka les avait tués tous deux d’un coup d’aile. Et Phalya-Mani dormait, pâle et souriante, la tête appuyée sur la poitrine immobile de son bien-aimé, et celui-ci la regardait fixement de ses grands yeux morts.

Et quand le Radjah vénérable vit sa fille à jamais inanimée, il dit :

— Qu’y a-t-il ? La Fleur du Madhyadeça s’est flétrie, la Perle du monde est tombée dans la mer divine. Mes cent années s’effeuillent au vent. Elles ne reverdiront plus. L’immense univers se noie tout entier dans la première larme du dernier des Pandavaïdes.

Et, poussant un long soupir, il rentra dans l’énergie latente des Dieux.

Ô Mâyâ, l’antique silence absorbe en un moment éternel les siècles écoulés, les minutes présentes et les heures futures. La vie inépuisable est faite du tourbillon sans fin de nos rêves.

Leconte de Lisle