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la république des lettres

Madhyadeça, Et les compagnes désolées de la vierge royale racontèrent qu’un génie de l’Himavat l’avait emportée, se disant l’ami du jeune guerrier. Et Vyâghrâ poussa un cri de rage, sa face devint blanche comme celle d’un mort. Le poil de ses moustaches se hérissa ; ses yeux rougirent pareils à des charbons ardents ; sa lèvre saignante se retroussa comme le mufle d’un tigre blessé, et ses dents brillantes grincèrent. Puis, bondissant hors de la demeure, il courut vers l’Himavat couronné de neiges. Tout un jour et toute une nuit il courut ainsi à travers les bois, les rivières et les djungles, passant les fleuves à la nage et gravissant les rocs. Enfin, le souffle lui manqua, et il se souvint d’Atouli-Jama, et il cria son nom trois fois.

Aussitôt le beau génie, ami des hommes, apparut dans le ciel, descendit auprès du jeune guerrier, et lui dit :

— Me voici !

— Atouli-Jama ! un démon de l’Himavat, — qu’il soit maudit ! — a enlevé Phalya-Mani, la Perle du monde. Quel est son nom ! où est-il ?

— C’est le démon Mahâmaraka qui vole là-bas sur les neiges éternelles. Il retient la belle jeune fille dans sa caverne de glace.

— Enlève-moi sur tes ailes, beau génie ! Porte-moi au repaire du ravisseur, afin que je le punisse et délivre la Fleur du Madhyadeça.

— Ô jeune homme, tu ne peux combattre un génie. La seule haleine du Maraka te tuerait. Viens ! je châtierai le maudit.

Et le Jama prit le jeune guerrier sur ses ailes et s’enleva dans les nues.

Pendant ce temps, Phalya-Mani gémissait au fond de sa prison glacée. Celle-ci était transparente au dedans, mais au dehors elle était opaque, de sorte que la vierge royale voyait, soir et matin, le corps immense de Brahma aux mille formes, aux mille couleurs, les montagnes, les vallées et le large océan, resplendir autour d’elle ; mais nul ne pouvait la voir, et les routes de la vie s’étaient refermées devant ses pas.

Phalya-Mani était comme la perruche blanche prise dans un réseau. Ses belles larmes ruisselaient sur ses joues pâlies ; elles inondaient son jeune sein. Ses gémissements mouraient étouffés par les parois de la caverne. La Fleur du Madhyadeça se flétrissait, dérobée aux regards de Suryâ aux sept étalons couleur d’or, son aïeul. La Perle du monde gisait, enfouie sous la neige de l’Himavat. La fiancée du jeune Pandavaïde était la proie du Maraka aux dix ailes rouges et noires.

Les Vierges qui fleurissent sur la terre du Nymphéa sacré sont faibles comme la liane aux clochettes roses des ravines, mais leur cœur est fidèle. Elles sont timides comme la gazelle aux yeux noirs des bois, mais elles ne reprennent jamais l’amour qu’elles ont donné. Et le démon de l’Himavat se réjouissait que Phalya-Mani versât des larmes et que le vénérable Aryâmân oubliât de réciter la Gayâtri en songeant à sa fille, et que le jeune Radjah ne dût plus revoir sa bien-aimée. Et il songeait que ni les génies de Sûryâgiri, ni les Dêvas eux-mêmes ne pourraient découvrir la Perle du monde. La méchanceté des Marakas est très-grande, mais leur intelligence est très-petite.

Au milieu de la treizième journée, tandis que le démon, assis dans son repaire, regardait pleurer Phalya-Mani et se délectait de ses gémissements, une lumière éblouissante enveloppa la cime neigeuse de l’Himavat, et il vit le beau génie Atouli-Jama qui venait, fendant les lourdes nuées de son vol splendide et portant Vyâghrâ sur une de ses ailes. Un tourbillon de vent arracha du roc et broya les murailles de l’antre qui se dispersa tout entier comme une poussière de diamant, et Mahâmaraka, hérissant ses