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phalya-mani

bois, gonflant leurs cols d’azur et d’émeraude, unissent leurs roucoulements amoureux aux mille rumeurs naissantes de la nuit.

La fille bien-aimée d’Aryâmân, la vierge Phalya-Mani, aimait à jouer matin et soir, dans la vallée natale, avec ses jeunes compagnes et les gazelles familières qu’elle nourrissait de sa main et qui buvaient dans ses paumes délicates. Et Phalya-Mani était très belle.

Elle avait une robe de soie blanche brodée de fleurs de nymphéa rosé. Un bandeau de mousseline semée de perles de Lanka retenait ses tresses lisses. Sa chaussure était de fil de nopal teinté de cochenille. Ses yeux, étroits et longs, étincelaient à travers l’ombre lumineuse de ses cils ; son nez charmant était pointu comme la flèche du désir ; ses lèvres luisaient comme les pétales de l’açoka, et leur sourire était semblable à la première clarté de l’aurore sur la neige pure du Suryâgiri. Ses genoux étaient comme deux boules d’ivoire poli. De légers bracelets d’or ornés de petites clochettes d’argent pressaient ses jambes rondes et fines, et, sous le triple collier de rubis, son jeune sein soupirait plus doucement que la colombe dans les figuiers touffus. Phalya-Mani était la Fleur du Madhyadeça, la Perle du monde.

Et c’est pourquoi Vyâghrâ, le neveu d’Aryâmân le Pandavaïde, très-brave, très-fort, très-agile, et pareil au tigre rayé des gorges de l’Himavat, aimait la fille du frère de son père. Mais il n’était ni pieux, ni pacifique, et le vénérable Radjah l’avait rejeté de sa présence, et Vyâghrâ était parti, emportant le cœur de Phalya-Mani.

Et voici qu’elle se promenait, pensive, avec ses compagnes et ses gazelles. Le jour tombait ; une longue ligne d’or coupait l’hoziron de la mer occidentale. Il y avait une année que Vyâghrâ s’était éloigné du Madhyadeça. Au souvenir du jeune guerrier, des larmes argentaient les cils de Phalya-Mani, et ses compagnes les essuyaient de leurs lèvres ; mais Phalya-Mani pleurait toujours.

Une d’elles, voulant flatter la douleur de la vierge royale, parla ainsi :

— Vyâghrâ est plein de courage et sa force est grande. Quand sa lance de bambou vibre dans le combat, les hommes pâlissent et courbent la tête.

Une autre jeune fille dit :

— Vyâghrâ est beau comme un Dêva. La flamme de ses yeux brûle doucement le cœur des vierges, et elles rougissent comme la neige au lever de l’aurore.

Une troisième reprit : — Vyâghrâ est léger et ses jarrets ne se lassent point. Quand il poursuit la gazelle et l’antilope dans les bois, son pied presse leurs pieds et son souffle échauffe leurs croupes.

Alors Phalya-Mani dit en pleurant :

— Vyâghrâ ! Vyâghrâ !

Si bien que le démon Mahâmaraka l’entendit. Et, se penchant de la cime de l’Himavat, il vit, au fond de la vallée, Phalya-Mani et ses compagnes qui pleuraient. Et, dès qu’il les eût vues, il lui vint en tête de causer une grande douleur au vieux Radjah Pandavaïde, en lui enlevant sa fille bien-aimée. Mais il fallait qu’elle le suivît de bonne volonté, les Dêvas ne permettant aux mauvais génies que la ruse et le mensonge, et non la violence. Il déploya donc ses dix ailes au vent et descendit en formant de grands cercles dans l’air.

Tandis que Phalya-Mani courait un tel danger, que faisaient le saint Radjah et le jeune guerrier ? Le vénérable Aryâmân, desséché par le