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Ces vérités ne sont point telles pour tous, nous le savons. Quels spectacles attristants les grandes nations européennes ne nous offrent-elles point ? Que font donc l’amour et la charité ? Le christianisme est-il donc impuissant à réfréner, à guérir, à transformer le mal ? L’Angleterre s’irrite que l’Irlande ait faim ; la Russie s’indigne qu’un peuple ne s’éteigne pas comme un homme, et que l’instinct de la vie, le sentiment de la dignité humaine et l’amour immortel de la liberté fassent battre encore un cœur percé de tant de coups. — Résignez-vous, disent l’amour et la charité ; remerciez Dieu des maux qu’il nous envoie ; rendez à César ce qui appartient à César ! — Mais nous disons : l’air, le pain, la liberté, les fruits de nos travaux, notre repos et notre vie sont à nous ! Que nous importe la résignation ? Que nous veut César ? Le droit vaut mieux ! Et nous disons vrai, rois de l’Europe, riches et heureux du monde ; mais vous ne voyez ni n’entendez ; mais vous jouissez au mépris du droit et de la justice, et le temps passe et vous oubliez que l’orage gronde et que les souffrants s’irritent ! Et pourtant que de voix vous crient de prendre garde ! Que de mains généreuses se lèvent vers vous, prêtes à vous soutenir et à vous guider sur le sol agité de mouvements mystérieux ! Rois de l’Europe, les révolutions politiques n’ont point fait leur temps ; la guerre des gouvernements et des peuples ne décroît ni ne s’apaise, et voici qu’une autre guerre plus irrésistible et plus effrayante approche d’heure en heure ; la guerre de celui qui n’a rien contre celui qui a tout ! Jamais nous