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vorantes de l’ascétisme, les enthousiasmes aveugles du martyre et les féroces monomanies du prosélytisme. Quel est l’idéal social apporté par le christianisme ? « Faites aux hommes ce que vous voudriez que les hommes vous fissent, disait le Christ, car ceci est la loi et les prophètes. » Certes, ces paroles annonçaient la solidarité humaine, mais la solidarité fondée sur la charité. Qu’est-ce donc que la charité ? — C’est la commisération du puissant pour le faible, c’est l’aumône du riche au pauvre, résultant sans doute d’une loi d’amour, mais d’un amour imparfait et insuffisant qui proclame le devoir du riche et non le droit du pauvre. Il y a donc un abîme entre la charité et le droit. C’est à la glorification de ce dernier, de ce seul principe que nous devrons l’association des intérêts, des travaux et des intelligences. Le christianisme primitif a fait son œuvre, œuvre immense et admirable, recueillie et développée de siècle en siècle par les grands hérésiarques, et qu’il nous est enfin donné de continuer avec de nouvelles forces, avec une foi nouvelle, avec une science qu’ils ignoraient. Le principe évangélique contenait un sublime pressentiment de la fraternité ; nous le sanctionnerons par le droit, nous le réaliserons par la justice. Et le jour où la charité disparaîtra de la terre, c’est qu’elle aura fait place au droit ; le jour où le riche charitable et le pauvre reconnaissant ne seront plus, c’est qu’ils auront proclamé le règne de la justice, ce qui vaut bien la pitié d’une part, et la misère de l’autre.