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Au dedans de ce temple sont la force et l’impunité ; au-dehors sont la misère et la faim. Elles aussi ont conquis le monde ; le monde des déshérités, des enfants perdus de l’humanité, et c’est la foule immense, c’est l’éternel troupeau des faibles.

La misère et la faim, filles de l’oppression, exécutrices des hautes œuvres du dieu-argent !

Mais, nous dit-on, la pitié, la commisération du riche viennent sans cesse en aide à la misère et à la faim ; la charité guérira ces plaies. Hélas ! quel palliatif a jamais rien guéri ? Nous vous le disons en vérité : l’indigence est comme l’urne sans fond des filles de Danaüs ; un océan d’aumônes y passerait sans y laisser une goutte. Rien, rien ne comblera jamais cet abîme, si ce n’est la justice distributive.

L’aumône, comme moyen suprême, est un crime en principe, car elle ne fait que constater l’éternelle souffrance du pauvre, car elle sanctionne le règne de l’oppression, car elle perpétue la misère et la faim.

La justice, la justice ! tout est là ; hors elle il n’y a rien

Voici que de terribles calamités se sont abattues sur notre pays ; que fera l’aumône à ce malheur immense ? Rien. Que pourront quelques milliers de francs, quand des millions ne suffiraient pas ? L’aumône est vaine, la justice seule peut tout.

Voici l’hiver, voici la disette : que fera l’aumône pour répondre aux derniers soupirs des vieillards que tuent le froid et la faim, aux cris des enfants qui meurent de froid et de faim ? Rien ! rien ! Que le règne de la justice nous arrive et tout est sauvé !

Il y a, dans un coin de l’histoire, une leçon inexorable, touchant l’aumône et l’insuffisance de la commisération du riche.