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PARIS, 28 NOVEMBRE.

L’Oppression et l’Indigence.

Entre toutes les plaies qui rongent le corps social, il en est deux plus flagrantes et plus profondes ; l’une engendre l’autre, toutes deux sont mortelles : l’oppression et l’indigence.

L’oppression est vieille dans les annales humaines. Il est loin de nous, le jour où l’homme dit à l’homme : Tes sueurs et ton sang sont à moi ; vis et meurs ! Je me nourrirai de tes larmes et de ta chair. — Il est loin de nous le jour où l’homme dit à la femme : Courbe la tête, toi qui es faible, aime et souffre ; tu me dois tout, et rien ne t’est dû.

Et pourtant ce jour a duré des siècles.

Tantôt le sceptre de fer en main, tantôt docile aux transformations des temps, habilement revêtue du manteau des législateurs, parée de noms vénérés, l’oppression a régné, toujours vivante, toujours inexorable, toujours maîtresse du monde. Elle domptait brutalement l’homme et la femme, aux époques de lutte et de barbarie ; elle marchait alors le front haut et découvert ; tous disaient : C’est elle ! et tous s’accoutumaient à ployer les genoux.

Aux époques de civilisation, c’est-à-dire de ruse, de mensonge, de trahison et de lâche égoïsme, elle a rusé, elle a menti, elle a trahi, elle a tout exploité à son profit, rampante et invisible ; mais elle a régné toujours, elle règne encore.