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Tu viens ici lorsque le doux sommeil m’enchaîne, mais tu fuis à la hâte, comme une brebis qui a vu le loup blanc, lorsque le doux sommeil me quitte. Je t’ai aimée, ô jeune fille, lorsque tu vins pour la première fois, avec ma mère, cueillir des fleurs d’hyacinthe sur la montagne ; et je vous guidais, et, dès ce moment, je t’ai aimée, et je t’aime encore !

Mais cela ne t’occupe point. Non, par Zeus ! Tu ne t’en soucies nullement. Charmante jeune fille, je sais pourquoi tu me fuis : c’est parce que je n’ai qu’un sourcil velu qui s’étend sur mon front d’une oreille à l’autre, un seul œil et un large nez au-dessus des lèvres. Mais, tel que je suis, je fais paître mille brebis, et je bois leur lait excellent que je trais moi-même ; et jamais, ni en été, ni en automne, ni par le plus rude hiver, le fromage ne me manque, et les claies en sont toujours pleines.

Et puis, je sais jouer de la syrinx mieux qu’aucun autre Kyklôps, et je chante mon amour jusqu’aux dernières heures de la nuit. Je nourris pour toi onze petites biches ornées de colliers et quatre petits ours. Viens à moi et tu ne perdras rien. Laisse la glauque mer s’élancer vers la terre ferme. Tu passeras plus heureusement la nuit à mon côté, au fond de l’antre. Là sont des lauriers, de grêles cyprès, un lierre noir, une vigne aux doux fruits et une eau fraîche, liqueur ambroisienne que l’Etna m’envoie de ses blanches neiges. Peut-on préférer à tout cela la mer et ses flots ?

Si je te semble trop velu, j’ai du bois de chêne, et je garde sous la cendre un feu qui ne meurt jamais ; et je souffrirai que tu brûles mon âme et mon œil unique, bien qu’il soit ce que j’ai de plus cher.

Je suis malheureux parce que ma mère ne m’a pas en-