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Car, afin d’agrandir et de hausser leur cœur,
Nos vaillantes tribus luttaient, pleines de joie,
Et le vaincu, conquis comme une noble proie,
De sa chair héroïque engraissait le vainqueur.

Mais la lumière tombe aux nuits Occidentales ;
Toute gloire éclatante a de mornes revers ;
Les Dieux trahissent l’homme, et les Esprits pervers
Déchaînent le torrent de nos heures fatales.

Or, mille Maourys de l’Île aux pics neigeux,
Jaloux de notre gloire et de nos champs prospères,
Pour s’emparer du sol hérité de nos pères
Franchirent une nuit le détroit orageux.

Nous fîmes vaillamment, et le combat fut rude.
On brisa bien des os, on rompit bien des cous,
Avant que ma tribu, sous l’averse des coups,
Dût céder à l’assaut de cette multitude.

Donc, furieux, le cœur saignant, à bout d’efforts,
Acculé sur les rocs qui hérissent la côte,
Avec deux cents guerriers, par la mer vaste et haute
J’ai fui vers l’Orient, où va l’âme des morts.

Entassant jusqu’au bord des pirogues couplées
Vivres, silex tranchants, lances à pointes d’os,
Esclaves pagayeurs, enfants liés au dos
Des femmes qui hurlaient, d’épouvante affolées ;