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Et les pères anciens, les braves Maourys,
Vers le jeune soleil faisant vibrer leurs flèches,
Se couchèrent joyeux au bord des sources fraîches
Qui chantaient, ruisselant sur les coteaux fleuris.

Bien des soleils sont morts dans ma vieille prunelle
Depuis que je suis né, là-bas, sous d’autres cieux,
Sur la côte orageuse où les os des aïeux
Dorment, bercés au bruit de la Mer éternelle.

Au fond des bois, enfants d’un immuable été,
Sur les sommets baignés de neiges et de flammes,
Hardi nageur riant du choc des hautes lames,
J’ai grandi dans ma force et dans ma liberté.

Le mâle orgueil de vivre emplissait ma poitrine,
Et, sans m’inquiéter du fugitif instant,
Je sentais s’élargir dans mon cœur palpitant
Le ciel immense avec l’immensité marine.

Qu’ils étaient beaux, ces jours qui ne me luiront plus,
Où j’ai mangé la chair et bu le sang des braves,
Moi, Chef des chefs, servi par un troupeau d’esclaves
Dans la hutte où pendaient cent crânes chevelus !

Je les avais tranchés, en face, homme contre homme,
Ces crânes de guerriers, dans mes jours triomphants,
Pour que le fier esprit qui les hantait vivants
Me fît un des meilleurs parmi ceux qu’on renomme.