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Je suis l’Esprit vengeur qui rompt les vieilles chaînes,
Le Lutteur immortel, vainement foudroyé,
Qui sous le lourd fardeau des douleurs et des haines
Ne s’arrête jamais et n’a jamais ployé.

Fils de l’homme ! Je fais libre et puissant qui m’aime.
Réponds. Veux-tu l’Empire et régner en mon nom,
Sachant tout, invincible et grand comme moi-même ? —
Ô Rédempteur, et Toi, tu lui répondis : Non !

Pourquoi refusais-tu, dans ton orgueil austère,
De soustraire le monde aux sinistres hasards ?
Pour fonder la Justice éternelle sur terre,
Que ne revêtais-tu la pourpre des Césars ?

Non, tu voulus tarir le fiel de ton calice ;
Et voici que, cloué sous le ciel vide et noir,
Trahi, sanglant, du haut de l’infâme supplice,
Ton dernier soupir fut un cri de désespoir !

Car tu doutas, Jésus, de ton œuvre sacrée,
Et l’homme périssable et son martyre vain
Gémirent à la fois dans ta chair déchirée
Quand la mort balaya le mirage divin.

Mais nous, tes héritiers tenaces, sans relâche,
De siècle en siècle, par la parole et le feu,
Rusant avec le fort, terrifiant le lâche,
Du fils du Charpentier nous avons fait un Dieu !