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générale, se rapprochent beaucoup des études antiques de Chénier, mais dont le sentiment est tout moderne, comme d’habitude. La Dryade, quoi qu’en dise l’auteur, ne rappelle en aucune façon Théocrite. En fait de tendresse et de mélancolie, le poète syracusain ne saurait lutter contre Alfred de Vigny ; il est rude et passionné ; ses paysages sont des études de nature vigoureuses et vraies, et quand il touche aux choses épiques, c’est avec une force et une hauteur peu communes. L’auteur de la Dryade et de Symétha, dont il faut reconnaître tout d’abord l’habileté rhythmique, serait plutôt un Florian sublime qui atteint presque Chénier et procède de Virgile, mais non de Théocrite.

Des trois livres qui composent ce premier recueil, le Livre mystique est le plus remarquable, sans contredit. Je me refuse absolument à comprendre le titre général donné aux cinq morceaux qui suivent. L’Antiquité homérique n’a rien de commun avec la Dryade, Symétha, la Somnambule et le Bain d’une Dame romaine. En admettant que le sentiment humain, c’est-à-dire moderne, doive prédominer sans cesse, à quoi bon se mettre sous l’invocation d’Homère, ici plutôt qu’ailleurs ? Je l’ignore et renonce à le deviner jamais. C’est un pur caprice sans raison d’être. Alfred de Vigny, semblable en ceci au plus grand nombre des poètes contemporains, n’avait aucun sens intuitif du caractère particulier des diverses antiquités. Il ne lui était pas donné de dégager nettement l’artiste de l’homme, et de se pénétrer à son gré des sentiments et des passions propres aux époques et aux races disparues. Si poète veut dire créateur, celui-là seul est un