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poète, une somme de vérités morales et d’idées dont nul ne peut s’abstraire ; l’expression seule en est multiple et diverse. Il s’agit de l’apprécier en elle-même. Or, ces poèmes seront peut-être accusés d’archaïsme et d’allures érudites peu propres à exprimer la spontanéité des impressions et des sentiments ; mais si leur donnée particulière est admise, l’objection est annihilée. Exposer l’opportunité et la raison des idées qui ont présidé à leur conception, sera donc prouver la légitimité des formes qu’ils ont revêtues.

En ce temps de malaise et de recherches inquiètes, les esprits les plus avertis et les plus fermes s’arrêtent et se consultent. Le reste ne sait ni d’où il vient, ni où il va ; il cède aux agitations fébriles qui l’entraînent, peu soucieux d’attendre et de délibérer. Seuls, les premiers se rendent compte de leur époque transitoire et des exigences fatales qui les contraignent. Nous sommes une génération savante ; la vie instinctive, spontanée, aveuglément féconde de la jeunesse, s’est retirée de nous ; tel est le fait irréparable. La Poésie, réalisée dans l’art, n’enfantera plus d’actions héroïques ; elle n’inspirera plus de vertus sociales ; parce que la langue sacrée, même dans la prévision d’un germe latent d’héroïsme ou de vertu, réduite, comme à toutes les époques de décadence littéraire, à ne plus exprimer que de mesquines impressions personnelles, envahie par les néologismes arbitraires, morcelée et profanée, esclave des caprices et des goûts individuels, n’est plus apte à enseigner l’homme. La poésie ne consacrera même plus la mémoire des événements qu’elle n’aura ni prévus ni amenés, parce que