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IX
préface

qu’il veut imposer aux foules, le choix de Leconte de Lisle est vite fait : c’est le Normand Corneille qu’il préfère. Peut-être même aurait-il, à la fin, déserté la poésie pour l’éloquence, la méditation pour l’action, si un fond de langueur créole, un des rares emprunts qu’il eût fait à Bourbon, ne fût venu renforcer en lui la nonchalance du Celte.

Il n’est pas moins remarquable que Leconte de Lisle, qui a ouvert sur la nature bourbonienne des yeux si émerveillés, n’ait guère manqué une occasion de dire que, parmi les créoles de Bourbon, il se sentait un étranger.

Si l’on groupe les divers traits empruntés aux pages de jeunesse qui sont ici publiées, on remarquera qu’une note de défaveur accompagne presque toujours, chez le poète, la peinture du caractère de ces Français d’outre-mer que le hasard et les hérédités maternelles avaient faits cousins ou concitoyens de Leconte de Lisle : « Le créole dit-il dans Sacatove, a le cœur fort peu expansif, il trouve parfaitement ridicule de s’attendrir ; ce n’est pas du stoïcisme, mais bien de l’apathie. »

Fils d’hommes du Nord, qui ont dû dompter la terre par la charrue, Leconte de Lisle demeure en extase devant les fécondités spontanées, qui, d’un rivage de corail au sommet d’un pic neigeux, juxtapose, le long des flancs de l’île Bourbon, tous les aspects de la vie végétale. Il est prêt à frémir de colère quand il constate que cette beauté n’éveille, chez les créoles de l’île aucun mouvement d’enthousiasme.

D’ailleurs, un fait caractéristique entre tous se dégage non seulement de la lecture de ces nouvelles, mais de l’examen de l’œuvre entière de Leconte de Lisle.

L’idéal féminin qu’il porte en soi n’est pas un reflet de cette glorieuse féminilité brune, si ferme en ses contours de jeunesse et de volupté qui, avec une abondance presque anonyme — créole, quarteronne ou négresse — jaillit de l’humus africain.