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la mélodie incarnée


GEORGE.

Cette absorption mentale de Samuel dura longtemps. Les jeunes garçons et les jeunes filles qui se rendaient aux champs, s’arrêtaient parfois devant lui, étonnés, et se moquant entre eux de sa physionomie extatique et de son immobilité de fakir anéanti ; mais il ne les voyait ni ne les entendait. Tout le jour se passa de la sorte. La nuit vint, sereine et belle, comme avait été l’aurore. Il écouta les derniers murmures de l’homme et de l’oiseau ; il vit les étoiles s’épanouir au ciel et la vallée s’endormir aux pâles rayons de la lune. Enfin, à une heure avancée déjà, il revint chez lui ; et, gravissant ses six étages d’une haleine, s’enferma dans sa chambre, saisit son violon et se mit à jouer d’un air inspiré. Hélas ! jamais encore plus effrayante musique n’avait déchiré oreille humaine ; cela n’avait ni queue ni tête, cela était vide de sens et d’intention, faux, aigu, bourdonnant et glapissant à la fois ; mais Samuel n’y prenait point garde le moins du monde. Tout à coup.

JACQUES.

Bon !

CARL.

Oh ! oh !