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la mélodie incarnée

et la voix de l’homme se fit entendre dans la vallée. Peu à peu aussi le visage pâle et insignifiant de Samuel prit une animation inaccoutumée ; son œil brilla et un sourire effleura ses lèvres. C’est que nul au monde, fût-il notaire ou professeur de rhétorique, ne peut se dérober au charme vivifiant qu’exhale la terre à son réveil, non telle que l’ont déflorée les hommes de mauvaise volonté et d’intelligence tronquée, mais la terre heureuse et belle, et se rapprochant de la vigueur, de l’abondance et de la grâce sacrées pour lesquelles Dieu l’a faite ! C’est que plus on s’éloigne, ô misère ! ô triste pensée ! de l’humanité égarée et pervertie, plus on sent l’idéal renaître dans son cœur ! Le souvenir accablant des bourgeois et des moralistes ne peuple plus vos nuits de visages stupides, et le jour du bonheur et de la vérité se fait dans votre âme ! Sois donc bénie, nature éternelle, source toujours féconde de religieux amours ! soyez bénis, vous tous qu’elle enfante et dont elle se pare, arbres verdoyants, larges fleuves, douces vallées, aurores charmantes, chants de l’oiseau et murmures harmonieux des brises matinales ! sois bénie, vierge-nature, inépuisable et bienveillante, car tout vient de toi et retourne en toi !

JACQUES.

Bravo, George ! tu as le sentiment de l’idylle, ô Melybœe !