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le songe d’hermann


SIEGEL.

Je suis vieux, te dis-je, j’ai vingt ans. L’amertume déborde de mon âme. Va ! je me connais bien. Les cordes d’or de l’intelligence ont été faussées en moi. Je les fais vibrer encore, mais elles ne rendent plus qu’un son vague et incomplet, comme si elles pleuraient sur elles-mêmes... (Un silence.)

Bah ! au diable la lune et la tristesse ! Ma pipe est achevée, rallumons-la et fumons. — Vois-tu, Hermann, je t’en veux des fariboles que je t’ai dites ; ne va pas en croire un seul mot, au moins ! — Tu es fou, fou à lier ; tu finiras à l’hôpital. — L’Assyrien, ivre de libations et de courtisanes, le divin Sardanapale avait raison : — Tout cela ne vaut pas une chiquenaude ! — Je me suis moqué de toi, mon pauvre Hermann, et j’ai eu tort. Tiens, si tu veux m’en croire, nous irons boire un ou deux pots de bière à la taverne du village, tout près d’ici. La place n’est plus tenable ; voici, le diable m’emporte ! les grenouilles qui commencent à chanter, ce qui est peu réjouissant auprès des joues roses des servantes de taverne. Allons, en route !

HERMANN.

Frère, tu souffres, et ton rire me fait mal.