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le songe d’hermann


HERMANN.

Que veux-tu dire ? ne saurais-tu me répondre sérieusement ?

SIEGEL.

Pleurer est facile, ne rit pas qui veut. À vrai dire, notre pauvre monde ressemble un peu aux parades de la foire. Chacun, à son heure et en son lieu, monte sur les tréteaux du paillasse. Or, le paillasse qui pleure est hué. Heureux ceux qui rient ! ce sont les sages. — Le monde antique était plus indulgent ; il accordait un masque à l’histrion ; libre à lui de pleurer dessous. Mais, de notre temps, on cloue le rire aux lèvres. Vois-tu, frère Hermann, il faut entrer dans la vie sociale, et se faire place, à la blafarde lueur des quinquets enfumés de la rampe, sur ce vaste théâtre où grimace la divine humanité. — Ah ! ah ! j’étudie mon rôle, moi ! Je commence à rire assez agréablement de l’amour, de la beauté, de Dieu ! que sais-je ! — Il est bon de comprendre son siècle. Que faut-il pour cela ? se prosterner devant un écu, et salir une sainte admiration de la justice et de la beauté éternelles, par cette maxime stupide « Tout cela est bel et bon, mais il faut manger pour vivre ! — Je te le dis, frère Hermann, je rirai de tout, afin de ne pas pleurer des larmes de sang.