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XXII
préface

Elle en a tous les caractères en les exagérant.

On sait en effet que le poète était singulièrement préoccupé d’écarter, de ses œuvres de prose ou de vers, tout ce qui ne lui semblait pas scrupuleusement caractéristique d’une époque, d’un peuple, d’un génie. Dans cet effort, il se montre ici plus Hindou que son modèle le lyrique Jayadeva, « qui écrivit cinq cent soixante-treize millions d’années après que l’énergie mâle eut fécondé l’énergie femelle ». Un des inconvénients de l’art hindou est la juxtaposition des détails dans un pêle-mêle qui empêche l’œil et l’esprit de saisir l’ensemble. En effet, les temples, les bas-reliefs, les statues, les broderies, les teintures sur étoffes, les bibelots, que nous a légués l’art hindou sont aussi écrasés que sa littérature, sous cette abondance touffue.

Leconte de Lisle qui, un jour, apportera de l’ordre dans cette rêveuse incohérence, cède ici au désir juvénile de s’en enivrer. Il y a du jeu dans cet essai, et cela se sent à des détails qu’il faut noter au moins en marge.

Si, plus tard, il y eut encore une part de gageure dans le glorieux entêtement avec lequel le poète rima son œuvre hindoue au milieu de l’indifférence de la majorité de ses contemporains, et si, volontairement ou non, dans quelques-uns de ses poèmes des plus parfaits, il a laissé percer une nuance d’ironie, dans la Princesse Yaso’da ce sourire est apparent. Ici la disposition railleuse de l’écrivain se donne libre carrière, aux dépens, non seulement du lecteur, mais des philosophes hindous eux-mêmes. On y relève, en abondance, des traits comme ceux-ci : « Les Sages admirent avec délices le regard bienveillant qui s’écoule des grands yeux du roi Satyavrata ; mais la race perverse contemple en frémissant la ligne droite de son nez auguste, signe infaillible de l’inflexibilité de sa justice ».

La délicieuse petite princesse Yaso’da elle-même, « la perle du monde », n’échappe pas à ces satires. Elle est trop différente des