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la rivière des songes

Il est vrai de dire que Georges se repentit de s’être laissé emporter par la colère, et il allait revenir sur ses pas du côté où gisait M. John Wood, quand il s’entendit appeler par M. Polwis. Se doutant bien qu’Édith avait tout dit à son père et que son sort allait être décidé, il se hâta d’accourir au-devant du négociant. Celui-ci paraissait fort ému ; son visage vermeil avait pâli ; une agitation insolite se lisait sur ses traits d’ordinaire si calmes et si sereins. À cette vue, Georges sentit le froid de la peur se glisser dans ses veines. À coup sûr, pensa-t-il, M. Polwis est furieux, et je suis perdu. Il abordait donc son hôte avec de mortelles appréhensions, lorsque ce dernier rompant en visière à toutes ses manières d’être et d’agir normales, lui jeta les bras autour du cou et se mit à pleurer sur son épaule.

— Édith... m’a tout dit, murmurait-il au milieu de ses larmes ; c’est une noble fille... vous êtes un honnête jeune homme... Adams ! Embrassez-moi, mon jeune ami.

Georges trouva dans sa joie la force de soutenir M. Polwis et son attendrissement, et le remercia avec chaleur ; mais le digne homme l’interrompit soudainement en lui disant, moitié riant, moitié pleurant :

— C’est bon, c’est bon, Adams... Allons déjeuner, mon ami.

Ce à quoi Georges donna sur-le-champ son adhésion,