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la rivière des songes


— Elle le sera dès à présent, monsieur Wood. De graves motifs s’opposent à ce duel, et je me dispenserai de vous les expliquer, Monsieur, j’ai l’honneur de vous saluer.

— Vous ne partirez pas ainsi ! s’écria John en saisissant Adams par le bras ; vous ne partirez pas, ou je publierai votre lâcheté aux quatre coins du monde !

— Vous perdez toute mesure, monsieur, dit Georges avec calme. Veuillez laisser mon bras, je vous prie.

Comme M. Wood, en proie à une colère aveugle, ne se hâtait pas d’obtempérer à ce désir raisonnable, Georges secoua la main qui l’arrêtait et continua sa retraite. Mais John l’ayant rejoint et violemment saisi au collet de l’habit, Adams lui porta entre les deux yeux un coup de poing irrésistible qui le renversa sans mouvement sur la mousse.

Certes, nous ne voulons point médire de certaines façons d’agir par trop britanniques, mais nous ne signalons qu’avec peine cette brutalité de Georges Adams, notre héros. Quantum mutatus ab illo ! Combien il se présente aux lecteurs, et surtout aux lectrices, différent de celui qui pleurait naguère d’amour aux pieds d’Édith Polwis ! Hélas ! que veut-on ? Ce geste, qui effraie notre délicatesse, n’a plus la même portée en Angleterre ; il brise bien les os et tue parfois son homme, mais il se peut qu’il y entre de la grâce et du savoir-vivre.