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la rivière des songes

dente l’épaisse feuillée du bois, et les oiseaux se taisaient à demi sur les branches. À une lieue environ au-dessus de la maison de M. Polwis, une petite yole verte, aux formes aiguës et surmontée d’un tendelet de coutil blanc à bordures rouges, descendait le cours paresseux de la rivière, tantôt cachée sous les rameaux éplorés des arbustes riverains, tantôt se frayant un sentier limpide au milieu des Songes et des nénuphars. Édith Polwis était indolemment assise sur des coussins, à l’arriére de la petite embarcation, et Georges Adams, tenant en main une pagaye, dirigeait la promenade à l’abri du rivage. Tous deux gardaient le silence. Les belles joues de la jeune fille étaient animées par l’air pur du matin et plus encore par la plénitude du cœur ; un heureux et calme sourire entr’ouvrait ses lèvres, et parfois elle posait sa main sur ses yeux comme pour se concentrer dans un monde de félicités. Georges Adams lui-même avait quitté son air contraint et la raideur de ses manières ; ses beaux traits respiraient un contentement profond, et les regards qu’il jetait sur Édith étaient pleins d’une tendresse grave et sereine. Il y avait deux mois que Georges s’était présenté chez M. Polwis. Durant ce temps, Édith et lui s’étaient aimés, mais jusqu’au moment où nous les retrouvons, ils ne se l’étaient point encore dit. Le digne M. Polwis, enchanté d’Adams, laissait aller les choses. Il n’en était pas ainsi de M. John Wood.