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la rivière des songes

baie, et le soleil. en disparaissant derrière les plaines de Constance. teignait de rose les feuilles brillantes des arbres d’argent, au moment où une persienne de bambou peint s’enroulait de bas en haut à une des croisées d’un riche hôtel, situé sur la place du Stock-Exchange. Une jeune fille s’accouda lentement sur le rebord de la fenêtre et jeta au dehors un long regard chargé de lassitude et de tristesse. Cette enfant, de seize ans à peine, avait l’idéale beauté des femmes du Nord, quand elles unissent à la limpidité fluide des yeux, à la transparence de la peau, l’abandon pensif et harmonieux de la démarche et de la pose. Par un heureux et rare caprice de la nature, ses cheveux, d’un blond cendré, faisaient luire, malgré leur abattement, de grands yeux bruns, dont les cils ombraient ses joues pâlies. Celle de ses mains qu’elle avait posée sur la fenêtre était mince et fine, d’une blancheur de neige, et agitée par instants de petits mouvements nerveux. Ainsi accoudée, vêtue de blanc, mollement inclinée et baignée dans l’ombre lumineuse du soir, on eût dit une de ces vierges idéales, si chères aux poètes allemands. En face d’elle, la baie étendait, sous les reflets rouges du soleil, ses longues houles calmes ; et, par delà les dernières élévations de la côte, l’immensité de l’océan austral se détachait en une ligne d’un bleu sombre. Mais ce large et splendide horizon n’attirait point ses yeux, qui conservaient cette expression vague et