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marcie

passablement spirituel, sans trop comprendre la nature élevée de Marcie, il s’était tout d’abord plié aux fantaisies un peu sauvages, à son sens, de la belle créole. Marcie, pleine de confiance et de droiture, l’avait accepté pour ce qu’il se donnait. Mais cette contrainte d’une longue année commençait de fatiguer cruellement le chevalier ; il se débattait contre le rigorisme de ses mœurs nouvelles, tout en aimant sa cousine à sa manière, c’est-à-dire d’une façon fort différente d’elle ; et nul doute qu’il n’eut été très effrayé de l’amour sérieux et profond de Marcie, s’il l’eût soupçonné. C’était, du reste, un beau jeune homme fort élégant, dont raffolaient les petites blanches du quartier et qu’enviaient les jeunes créoles à deux lieues à la ronde.

À l’heure où le marquis fumait matinalement sous sa varangue, un homme, un blanc, courait à cheval le long de la ravine de Bemica. Ses traits pâles et fiévreux, ses vêtements en désordre, les saccades qu’il imprimait au mors de sa monture, témoignaient d’une violente agitation. Cet homme avait de grands yeux bleus, le front large, les lèvres fines et les cheveux blonds ; il était grand et mince comme la plupart des jeunes créoles. Parvenu à un affaissement subit du terrain, sur le bord de la ravine, il arrêta brusquement son cheval, mit pied à terre, et, nouant les rênes au tronc d’un petit arbre voisin, il alla s’asseoir au penchant du précipice