Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
XVIII
préface

les dangers que faisait courir, aux jeunes filles créoles l’ardeur et la tendresse de leurs esclaves noirs.

On notera pourtant que, dans Marcie aussi bien que dans Sacatove, la passion du nègre pour sa jeune maîtresse demeure un sentiment, et ne va pas jusqu’à la consommation.

Ce qui se passe encore aujourd’hui dans l’Amérique du Nord, où le noir n’est plus un esclave mais, théoriquement, un citoyen libre, donne ici raison à la réserve de Leconte de Lisle. L’entreprise d’un noir américain aux dépens d’une jeune fille ou d’une femme de race blanche, est, sans doute, immédiatement punie d’une manière effroyable par le lynchage, par des demi-pendaisons dans lesquelles le supplicié sent, à la fois, un feu allumé sous ses pieds, une corde attachée sous son menton et les déchirures de balles qu’on lui tire dans le corps. Mais la seule crainte du supplice n’est point en cause, pas plus dans le Sud ou l’Ouest américain, qu’à Bourbon. La vérité c’est que le noir reconnaît vraiment le blanc comme son supérieur. Il sent l’abîme qui le sépare de la femme blanche et, s’il y a mépris d’une part, il y a admiration, vénération presque religieuse du côté de l’homme de couleur envers une créature qui lui semble plus qu’humaine.

En affirmant par deux fois dans ses nouvelles cet état d’âme de l’esclave en face de la créole, Leconte de Lisle a voulu rendre un témoignage loyal en faveur de ces humbles serviteurs pour lesquels il ne se contentait pas de rêver l’affranchissement, mais dont il contribua, plus que tout autre, à faire des hommes libres, puisqu’un an après la publication de ce conte — en 1848 — on le voit se placer à la tête de la Délégation qui va réclamer, au Parlement français, la liberté des esclaves de l’Île Bourbon et, le premier, signer la requête qui aboutira à cette mesure d’humanité.

En dehors de ce souvenir historique, la lecture de Marcie