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marcie

ne résistait pas à une parole mauvaise, à une action qu’elle blâmait. Ses affections étaient inexorables. Celui qui n’atteignait pas l’idéal préféré, ou qui, l’ayant atteint, faiblissait un instant, celui-là mourait dans son cœur pour ne plus revivre. On eût dit que son père, en lui donnant toute liberté, lui avait commis la garde de la pureté de son âme et de l’élévation de son esprit. Elle veillait comme une vestale dans l’ombre de son cœur le feu sacré des nobles pensées et de l’amour des belles actions. Sachant peu de choses, elle avait le mens divinior de tout ce qui est grand et juste. Au mois d’octobre suivant, elle devait épouser son cousin, le chevalier de Gaucourt, qui, depuis une année, était arrivé dans la colonie, sur la demande expresse du marquis.

Quant au chevalier, son histoire et son portrait exigent peu de peine. Cadet de famille, ardent au plaisir et peu à l’aise du côté de la fortune, couvert de dettes et menaçant fort d’en faire de plus belles, brave comme il faut l’être, incapable de songer à autre chose qu’aux amours d’un jour ou d’une nuit, et aux duels hebdomadaires, le chevalier désespérait Mme de Gaucourt, sa mère, cousine germaine du marquis. L’un et l’autre reçurent avec une grande joie les offres qui leur furent faites par M. de Villefranche. La perspective du riche mariage qu’elles laissaient entrevoir au chevalier, ne lui permit pas d’hésiter. Il partit et arriva. Sachant le monde et