Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
dianora

chancelait, baisa sa main sanglante, et lui dit avec un cri de triomphe et d’amour :

— Pierre, Pierre, nous sommes libres !

Le corps de Cenami fut jeté dans le torrent, et les eaux le roulèrent sous les rochers, car il ne reparut point. Le sang qui tachait le parquet fut lavé avec soin, et les blessures légères de Puccinelli pansées. Puis il retourna secrètement à Lucques, selon le désir de Dianora, pour y attendre les événements. Quant à cette femme, quoiqu’elle ne fût pas sans une grande perplexité d’esprit, elle eut l’audace d’interroger le lendemain tous les gens du château sur le sort de son mari. Celui-ci avait dit vrai ; nul ne l’avait revu. Les recherches faites dans la forêt furent inutiles, comme il était naturel. Alors Dianora feignit une grande douleur, et finit par revenir à Lucques où elle excita la pitié de tout le monde. Elle quitta la maison de son mari et habita de nouveau celle de Mme Catherine, qui, ne s’occupant plus guère que de ses devoirs religieux, la laissa parfaitement libre de ses actions. Dieu sait si elle en profita ! Jamais deux amants ne s’étaient aimés d’un plus furieux amour. La passion prit même le dessus sur la prudence ; et deux mois s’étaient à peine écoulés depuis la disparition de Bonaccorso, que toute la ville de Lucques savait que Puccinelli était l’amant de Dianora. Cela causa un grand scandale et fit naître de terribles soup-