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XVI
préface

et y mourir. J’emporterai en Angleterre le regret douloureux d’avoir entrevu le bonheur sans t’atteindre. »

— « De si graves intérêts sont-ils donc attachés à votre départ ? demanda Édith en baissant la tête par une sorte de pressentiment qu’une heure décisive allait sonner pour elle. »

— « Le plus grave intérêt de la vie, miss Polwis. »

Le fait est que Charles Leconte de Lisle se rendait à Dinan pour y passer son baccalauréat.

Cela ne changea rien aux choses, et l’écolier, devenu homme, avait le cœur gonflé de la mélancolie d’un souvenir toujours cher, quand — dix ans plus tard — fixant ses réminiscences, il écrivit le conte émouvant qui finit par ces mots :

« Ô première larme de l’amour, si rien n’a terni ta chaste transparence, la mort peut venir… tu nous auras baptisés pour la vie éternelle. »



Tel est bien le sentiment profond de Leconte de Lisle. Entre une amoureuse tragique comme sa Dianora, et les vierges que le désir approche mais ne touche point, il n’hésite pas. Ses poèmes nous avaient ouvert cette mystérieuse fenêtre sur les profondeurs de son cœur : les pages de jeunesse, recueillies ici, commentent éloquemment, éclairent comme par un rayon pur, la passion de cette âme d’élite pour l’idéal intact.

Certes, c’est pour préciser cet idéal là que le poète a écrit : La Mélodie incarnée ; Le Songe d’Hermann.

Qu’est-ce que cette femme qui, au matin, se dégage de l’obscurité d’une pauvre chambre et apparaît à un mélancolique joueur de violon une seconde avant que son cœur et son instrument se brisent à la fois ? C’est l’Âme du Stradivarius. Et, si elle se manifeste au musicien, c’est que la veille, pour la première fois, il a eu la révélation de la Nature. Ses sens se sont ouverts. Pour lui, le son est devenu visible : la beauté lui a été révélée.