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dianora

à la cuisse, puis à l’épaule et chancela ; mais, au moment où son adversaire allait profiter de cet avantage, il se fendit à fond et lui planta son épée dans la gorge. Le malheureux râla et se tordit sur le pavé, tandis que le meurtrier se tenait debout devant lui, comme épouvanté de son action. Enfin, le sentiment du danger qu’il courait en restant à Lucques l’emporta sur la joie inquiète et cruelle qu’il éprouvait à contempler son rival vaincu, et il prit la fuite en choisissant les rues écartées qui conduisaient à la porte Saint-Pierre de Cigoli, du côté de Pise.

Le vieux domestique de Mme Catherine, qu’on nommait Checco, étant sorti de grand matin pour faire les provisions de la journée, trouva le premier Bonaccorso étendu au milieu de la place Saint-Martin, nageant dans le sang et comme mort. Checco, qui était dans le secret du mariage projeté entre ce gentilhomme et sa jeune maîtresse, ne trouva rien de mieux à faire que d’appeler quelques passants à son aide, et de transporter le corps chez Mme Catherine. Le mouvement fit revenir Bonaccorso à la vie, et il eut au moins la consolation de recevoir les soins de la belle Dianora, qui ne se doutait guère que ce fût là l’œuvre de son amant. Peut-être même, le sachant, eût-elle prodigué les mêmes attentions au blessé ; car la douceur et la cruauté sont proches l’une de l’autre dans le cœur des femmes.