Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
XIV
préface

même repose, se sont accrochées aux dentelles de sa robe, les déchirent, tiennent son bras prisonnier.

L’intensité des sentiments du poète ne devait avoir d’égale que leur durée dans son cœur.

En effet, sept ans âpres la publication de Une Peau de Tigre. Leconte de Lisle reprend ces souvenirs pour les compléter et les magnifier. Il n’est pas satisfait du dénouement qu’il a donné à l’idylle ébauchée avec Mlle Anna Bestaudy : il remet la jeune fille en scène dans La Rivière des Songes[1].

Cette fois elle a changé de nom, mais elle n’a pas changé de décor et elle apparaît une fois encore « vêtue de blanc », autant pour satisfaire aux exigences du climat africain qu’à l’esthétique du poète.

Dans un coin de la chambre, il y a un meuble que nous connaissons, « un magnifique piano ». Et il est là aussi, « le divan » sur lequel « Édith est à demi couchée » exactement comme dans la nouvelle : Une Peau de Tigre — pour les « lionceaux » et les babouins », qui forment la ménagerie de la jeune fille, ils sont des fils et des cousins de ces lions et de ces singes que le poète adolescent avait aperçus en 1837, chez un autre habitant du Cap, M. Villet.

Évidemment ici le poète embellit un peu les choses. Dans une longue épître qu’il avait adressée, au moment même de son passage au Cap[2], à un ami de Bourbon, il avait dépeint Mlle Bestaudy non comme une rêveuse sentimentale, mais comme « une grosse Hollandaise très gaie ». De même n’avait-il jamais fait avec elle de promenade en canot sur la Rivière des Songes, mais bien risqué une excursion : « dans une voiture à six places par une route généralement sablonneuse mais bordée de charmantes maisons », pour se rendre à Constance, site éloigné de quatre lieues du Cap.

  1. La Démocratie pacifique (13 juin 1847).
  2. En 1837, à son camarade Adamolle.