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sacatove

dans les bois. Si je ne vous avais pas trouvée à la grande case, je serais plutôt revenu à la chaîne que de courir le risque de ne plus vous voir. Pardon !

— Il fallait revenir en effet, répondit la jeune fille. N’étais-tu pas le mieux traité de tous nos noirs ? Pourquoi es-tu parti marron ?

— Ah ! dit Sacatove en riant naïvement, c’est que je voulais être un peu libre aussi, maîtresse ! Et puis, j’avais le dessein de vous emporter là-bas ; et quand Sacatove a un désir, il y a là deux cents bons bras qui obéissent. Je vous aime, maîtresse ; ne m’aimerez-vous jamais ?

— Va ! laisse-moi ; tu es fou, misérable esclave ! Sors d’ici ; mais non, écoute ! Ramène-moi à l’habitation, je ne dirai rien et demanderai ta grâce.

— Sacatove n’a besoin de la grâce de personne, maîtresse ; c’est lui qui fait grâce maintenant. Allons, soyez bonne, maîtresse, dit-il, en voulant entourer de ses bras le corps de la jeune fille.

Mais, à ce geste, celle-ci poussa un cri de dégoût invincible et se renversa si violemment en arrière que son front heurta le rocher. Elle pâlit et tomba sans connaissance. À ce cri perçant plusieurs négresses entrèrent à la hâte et la ramenèrent à la vie ; puis elles sortirent.

— N’ayez plus peur de moi, dit Sacatove à sa maîtresse : demain soir vous serez à l’habitation.