Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
sacatove

odieux que la sécheresse du cœur et l’impuissance de l’esprit en face de la nature éternelle ? J’ai toujours pensé, pour mon propre compte, que l’homme ainsi fait n’était qu’une monstrueuse et haïssable créature. Qui donc en délivrera le monde ?

Le détachement pénétra dans les bois. Eux aussi sont pleins d’un charme austère. La forêt de Bernica, alors comme aujourd’hui, était dans toute l’abondance de sa féconde virginité. Gonflée de chants d’oiseaux et des mélodies de la brise, dorée par-ci par-là des rayons multipliés qui filtraient au travers des feuilles, enlacée de lianes brillantes aux mille fleurs incessamment variées de forme et de couleur, et qui se berçaient capricieusement des cimes hardies des nates et des bois-roses aux tubes arrondis des papayers-lustres ; on eût dit le jardin d’Arménie aux premiers jours du monde, la retraite embaumée d’Ève et des anges amis qui venaient l’y visiter. Mille bruits divers, mille soupirs, mille rires se croisaient à l’infini sous les vastes ombres des arbres, et toutes ces harmonies s’unissaient et se confondaient parfois de telle sorte que la forêt semblait s’en former une voix magnifique et puissante.

Le détachement passa silencieux, et le pas des chasseurs se perdit bientôt dans les profondeurs solitaires du bois.

À une lieue environ, au milieu d’un inextricable