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le prince ménalcas


Depuis huit jours je suis au paradis ! ah, je l’aime ! Ce n’est qu’une laitière, il est vrai, mais je l’aime ! Elle n’en sait rien ; nous causons de bonne amitié, de la pluie et du beau temps ; que sais-je ! Mais quand elle est partie, quoique je ne sache plus ce que nous avons dit, je suis plus heureux qu’un prince n’a le droit de l’être. Elle ne vient pas ! serait-elle malade ? Ah ! Wilhelmine, c’est bien mal à vous de m’inquiéter ainsi ! Pourquoi suis-je prince ? Dieu m’est témoin que ce rôle-là m’ennuie fort. Je m’éveille, je mange et je dors à heure dite ; c’est un véritable esclavage, et c’est absurde ! Mes ministres sont si voleurs, mes chambellans sont si laids ! Les dames d’honneur de ma mère me font la cour. Elles sont très débauchées, ces dames ; mais, en revanche. elles sont si pudibondes ! Hé!as ! qui me délivrera de ma principauté, de mes ministres, de mes chambellans et des dames d’honneur de ma mère ! Enfin, j’ai tout mon bon sens ; il est clair que je n’étais pas né pour être prince. La seule vue d’une femme me fait battre le cœur : je sais sur le bout du doigt Théocrite, Bion, Moschus et Virgile ; mes nuits sont peuplées d’idylles ; je ne rêve que de houlettes enrubannées et de chansons alternées sous les arbousiers et sous les hêtres. Dieu m’avait, sans doute, destiné de toute éternité à traire les vaches, les brebis et les chèvres, et à aimer Wilhelmine. — Wilhelmine est laitière ; quelle charmante profession ! elle