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préface

D’un bout à l’autre de son œuvre, le type de femme qu’il dégage des brouillards du songe et revêt des voiles de la rêverie afin de le produire dans tout son éclat, c’est la vierge du Nord, la jeune druidesse de « l’île de Sein » aussi bien que l’élégante petite flirteuse des Chansons Écossaises :


Ne dit pas non, fille cruelle,
Ne dis pas oui ! J’entendrais mieux
Le long regard de tes grands yeux
Et ta lèvre rose, ô ma belle !


Ce choix n’est pas un pur élan d’atavisme. Il est raisonné. À cet égard le conte ici publié : Mon premier amour en prose, a la valeur d’un document psychologique. Leconte de Lisle dit pour quelles raisons il rompit, très jeune, avec les belles et orgueilleuses jeunes filles de l’île Bourbon. Il les a symbolisées, incarnées dans cette héroïne de son premier amour qui, sur une peau orangée et des cheveux noirs, portait « un frais chapeau de paille à roses blanches et à rubans rouges »

Il avait longtemps adoré la jeune fille de loin, avec ardeur et tremblement, lorsqu’un jour il entendit la voix aigre, impitoyable à l’esclave, sortir des lèvres vermeilles, il vit les belles mains esquisser le geste de la menace, le corps souple raidi par la colère méchante. Alors le cœur du jeune poète se serra dans sa poitrine, il s’approcha de celle à qui, jamais, il n’avait osé adresser la parole, et il s’écria : « Madame ! je ne vous aime plus ! »

Cet adieu, Leconte de Lisle le jetait là à toutes ces femmes, quarteronnes ou créoles, dont il sentait les âmes — à la fois inertes et cruelles — si différentes de la sienne.

Et son parti pris d’ostracisme ira, un moment, jusqu’à le rendre injuste pour toute beauté brune.

Ainsi, le poète haïra Dianora, l’héroïne florentine d’un autre